Bon soin

Je suis nourrie par les êtres et les choses habitant les territoires autochtones traditionnels connus sous le nom de Tiohtiá:ke pour les Haudenosaunee, de Mooniyang pour les Anishinaabeg et de Montréal pour d’autres. En tant que terre autochtone non cédée qui a historiquement fourni un lieu de rencontre à de nombreuses nations, je remercie chaleureusement les Kanien’kehá:ka de Kahnawake et Kanehsatà:ke qui continuent de se soucier de son bien-être avec tant de bienveillance. Je vous invite à écouter et lire les histoires de chacun de ces Peuples puisque nous venons tous d’endroits différents et de chacun de ces différents territoires proviennent des histoires différentes.

Je remercie les personnes qui ont construit les bâtiments dans lesquels je vis et travaille, et les personnes qui en prennent soin, les entretiennent. Et en tant que mère d’une enfant en situation de handicap, je remercie les personnes qui prennent soin d’elle (dans mes communautés, dans le point de service de son école, au centre de réadaptation et à l’hôpital) et me permettent de mener une pratique artistique. J’ai également une pensée pour toutes les personnes qui n’ont pas accès aux bâtiments et institutions où je vis et travaille et je reconnais mon privilège d’y avoir accès. Ma propre enfant n’ayant pas accès à plusieurs de ces lieux.

 » It is through the care of a disabled child that I have had to turn around my own understanding of a good life and a just society.
I couch these new understandings as what I have learned from my daughter Sesha. These are offered up as arguments and as stories. Through them, I mean to convey the transformations of thought and self-understanding that have come out of encounters with my daughter, with her needs, her body, her mode of communication, and her relationship to me and the world.
 »

– Eva Feder Kittay,
(Learning from My Daughter: The Value and Care of Disabled Minds)

Ayant à assurer les soins nécessaires au développement de mon enfant depuis sa naissance, j’ai vu mon temps en atelier se coincer entre les rendez-vous médicaux et mon emploi alimentaire. Prise par les obligations, me retrouvant écartée des circuits artistiques, il m’était difficile de trouver ma place pour contribuer à mon champ d’expertise. Ces dernières années, ces interrogations ont changé subtilement de registre, me menant à la question : qu’apporte l’art à la vie, en quoi l’art contribue-t-il à nos vies, à ma vie ? En vérité, cette question, je me la (re)posais puisqu’elle avait toujours été fondamentale dans ma pratique. Très jeune, j’ai compris que ma pratique des arts me permettrait de dire ce que je ne pouvais pas dire avec les mots. C’est peut-être même ce qui a fait éclore chez moi ce désir d’être artiste. Aussi, déjà enfant, ayant été élevée par mes grands-parents puis les ayant accompagné dans leurs dernières années de vie, j’ai vite compris l’interdépendance qui nous lie tous et toutes.

Au fil de ma pratique j’en suis venue à aborder chaque expérience de vie et de création sous les mêmes angles de réflexion théoriques et pratiques, me permettant de concilier et de faire la paix avec les multiples facettes de mon quotidien, en acceptant les failles et la contradiction et en chérissant davantage les relations d’amitié, de confiance et de bon soin qui le peuplent.