Galerie d’art d’Outremont (Maison de la culture, Arrondissement Outremont)
Les Bavardes est une exposition participative ayant eu lieu du 7 avril au 29 mai 2022 proposant un mobilier de type bancs-bibliothèques où les citoyen.ne.s sont invité.e.s à explorer des micro-récits réalisés que j’ai réalisés abordant plusieurs sujets à portée autobiographique autour de la question de l’indicible; à y déposer leurs propres livres ainsi qu’à participer à des session de création collaborative dans l’espace de la galerie (création d’objets, de zines, d’actions et enregistrements vidéo).
Plus de 800 zines ont été réalisés par les citoyen.ne.s et plus de 400 zines sont demeuré.s dans l’espace d’exposition, s’ajoutant à ma centaine de petits livres. Étant présente sur place durant les heures d’ouverture, des centaines d’heures de bavardage ont aussi été réalisés.
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Influencée par les courants de créations féministes DIY et inspirée de l’esthétique des librairies alternatives, l’exposition Les Bavardes propose un espace constitué de mobilier de type banc-bibliothèque remplis de livres (zines) faits main. Les citoyens et citoyennes sont invité.es à lire mes micro-récits ainsi qu’à collaborer à la création de zines, d’actions et d’enregistrements vidéo. Les dispositifs de création collaboratifs sont aménagés à même l’installation, favorisant la prise de parole active. L’installation est nourrie chaque semaine au fil des conversations et des actions de création collaboratives avec le public. J’accompagne les citoyen-nes dans la fabrication de micro-récits en utilisant une méthode de création inspirée du bavardage pour « tenter de dire ce qui ne peut être dit ». Bien que paradoxale, cet énoncé se veut un point de départ vers une réflexion collective autour de plusieurs sujets peu abordés dans la sphère publique.
L’objet de diffusion et le zine
Une partie importante de l’exposition se décline par la confection de centaines de petites livres. Ces micros-récits me permettent de résister à la norme, au Grand récit unifié pour aller vers des vérités plurielles, en mouvement, déployées en une multitude de réalités qui se superposent et s’entrecroisent. Pour moi, le micro-récit est un espace rempli de possibilités où on peut revisiter ses souvenirs et des sentiments comme la colère ou la mélancolie tout en acceptant les failles et les contradictions. Pour Les Bavardes, une multitude de petits livres ont été créés, tous singuliers malgré les histoires qui se répètent et se recoupent. À l’instar de plusieurs formes de projets d’activisme prônant le Do It Yourself, l’exposition collaborative opte pour une approche de production à petite échelle et aborde des expériences personnelles sous différents angles.
Prise de parole citoyenne
L’approche adoptée pour cette exposition et pour la méthodologie du bavardage propose des situations qui détournent les rôles sociaux usuels et les rapports de pouvoir entre artiste et citoyen en offrant l’espoir d’une vie et d’un quotidien qui seraient traversés par l’art. L’objectif premier de cette exposition est la participation et la prise de parole plurielle des citoyen-nes dans un espace public dédié à la création. La forme de l’exposition qui rappelle des lieux communautaires ainsi que la présence en salle de médiateurs et de l’artiste, ont été réfléchies pour favoriser le plus possible la participation et le sentiment de bien-être des citoyen-nes. Ils et elles joueront un rôle actif dans leur rencontre avec les œuvres et dans l’issue même de l’exposition. Au fil des semaines, ils et elles pourront voir évoluer l’installation et observer concrètement l’impact de leur participation dans le lieu mais aussi auprès des autres participant-es. Les participant-es auront accès aux zines créés mutuellement et à la projection vidéo évolutive qui présentera des éléments de leur processus créatif. Elles et ils auront un sentiment de communauté, le sentiment d’avoir participé à un projet collaboratif. Pour plusieurs (particulièrement en ces temps de pandémie), ce projet leur permettra de briser l’isolement.
La parole agit comme un muscle
Plus les citoyen-nes sont invité-es à prendre la parole dans des lieux publics, plus on leur offre des espaces alternatifs pour trouver leurs propres façons de s’exprimer, plus ces citoyen-nes développeront un langage et des réseaux pour parler des enjeux publics qui les touchent au quotidien. Pratique collaborative et méthodologie du bavardage : Cette méthodologie de création se base sur la possibilité du dire par le caché et la parole silencieuse. Malgré l’apparente contradiction qui sous-tend le sujet de ce texte, une méthodologie par le bavardage y est articulée en vue d’entraver l’indicible pour tendre vers une prise de parole plurielle, réparatrice et révélatrice dans une pratique d’un art qui traverse chaque espace de la vie. Le mot bavardage a bien mauvaise réputation et est souvent traité comme une démonstration d’un manque d’exactitude, voire comme une sorte de bruit ou de vacarme langagier. La pratique du bavardage telle que proposée dans l’exposition, embrasse ces incohérences et favorise la circonscription du fond des récits vers son expression sous forme créative appliquée ou par l’expérience collective. La méthodologie du bavardage en création participative fait office de soupape, permet la révélation. Pour avoir éprouvé cette méthodologie dans des contextes de stations de création de zines par exemple, je remarque combien elle permet de libérer la parole des participant-es et de dénouer certains tabous. Parler, discuter de tout et de rien tout en sachant qu’il est question de « ce qui ne se dit pas » ouvre la voie (et la voix) à une prise de parole nouvelle.
Démarche, approche autobiographique et la question de l’indicible
La question de l’indicible est au cœur de l’installation et soulève la question du langage dans ce qu’il ne doit pas, ne veut pas, ne sait pas dire, taire ou dissimuler. Interroger l’indicible fait surgir les limites et les failles du langage, du processus de communication entre les êtres, mais également de tous les processus et systèmes qui régissent les différents espaces dans lesquels les humains vivent et évoluent seuls ou avec l’autre. Cet indicible, je l’ai circonscrit comme l’incapacité du langage à rendre compte de certains états affectifs forts relevant souvent d’expériences traumatiques, mais également comme étant ce dont on ne parle pas dans l’espace social. Pour cerner les contours de l’indicible dans mes travaux plastiques et mes actions, j’ai recours à la parole silencieuse, à la dissimulation et au secret. Je fabrique des éléments au contenu volontairement ambigu et mes recherches s’articulent autour d’une tension entre aveu et retenue. Je ne cherche pas à résorber ou résoudre l’indicible; bien au contraire, il demeure une source perpétuelle d’énergie réflexive qui traverse ma vie. L’incapacité à faire récit m’a amenée à explorer les limites du langage vers des façons nouvelles de dire, de raconter, de partager, de collaborer, de montrer. J’imagine parfois l’indicible qui opérerait comme une lourde pierre qu’on aurait posée pour bloquer un ruisseau. Quiconque a déjà observé ce simple phénomène pourra témoigner du fait que l’eau s’infiltre timidement dans les pourtours, dans des sillons inattendus, pour trouver inévitablement son propre chemin, se scindant en des cours d’eau miniatures et multiples. La parole ne peut pas déplacer ou supprimer l’obstacle insurmontable de l’indicible, mais elle s’infiltrera subrepticement par la bande et se fera entendre à qui saura écouter. Poursuivant une pratique autobiographique qui questionne la communication du ressenti et ses incapacités, je puise dans mes archives personnelles pour tenter de relater des événements marquants et pour aborder des sujets qui sont près de ma réalité, comme la filiation matrilinéaire, la violence envers les femmes, la maternité non traditionnelle, le handicap et l’enfance malheureuse. Partager mes récits personnels, même déconstruits ou cachés, me place dans une situation de vulnérabilité nécessaire pour baisser la garde, exprimer des doutes et exposer des failles. Rebâtir des objets à partir des vestiges du trauma et reprendre le pouvoir et la responsabilité de sa propre parole permet l’émergence d’un espacement entre soi et la souffrance passée. La réécriture des histoires (les grandes comme les plus anodines) par le micro-récit et la multiplicité offre la possibilité de se positionner comme sujet agissant, tentant de dénouer les nœuds laissés par le trauma.