Si mon mode de travail et de création s’apparente au bavardage, c’est qu’il m’est impératif d’éviter la finalité, je refuse de systématiser ou de répéter plusieurs fois la même chose. Le bavardage me permet de raconter encore et encore, toujours différemment; de tout recommencer depuis le début sans cesse et sans jamais aller au bout des choses. La personne bavarde est une personne qui révèle et qui connaît les secrets. Marginalisée, on la rabaisse parce qu’on pense qu’elle en dit trop et que c’est dangereux, qu’elle dit n’importe quoi, qu’elle va dans tous les sens. La fluidité de ses histoires résiste aux fins et à la linéarité.
Le bavardage comme « fenêtre, béance, soupape, échappatoire, exutoire » et « un moyen de découverte, de révélation de soi-même. » en plus d’être jugé « irrécupérable car il est dépourvu de finalité.» (Suzanne Lamy)
Mes expérimentations autour de l’indicible, notamment de ce dont on ne devrait pas parler dans l’espace social, font acte de résistance au langage normalisé en provoquant la multiplicité des identités et en faisant ressortir le pluriel, l’éclatement de la temporalité, la fragmentation de la mémoire personnelle et collective, et la variété dans la narration.
Bricoler et bavarder, c’est faire avec les restes. Après la perte, la destruction, le trauma, que reste-t-il et qu’en faisons-nous ? Pour reconstruire la mémoire, les histoires et en faire du sens, la bavarde fait des essais. Comme la bricoleuse, elle prend ces restes, les transforme, les découpe et les recolle, les tisse ou les tricote pour changer la trame, la forme, jusqu’à ce que ces restes deviennent siens. Ce qui nous reste, les résidus d’après ce qui s’est passé, racontent aussi nos histoires. Comme le non-dit, ce résidu muet.